Le labyrinthe aux olives by Mendoza Eduardo

Auteur:Mendoza, Eduardo [Mendoza, Eduardo]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 1985-01-08T23:00:00+00:00

12

De la velléité, ou le destin

Je marchais, me concentrant sur cette activité, d’une part pour tenter d’éloigner de mon esprit la tristesse de la séparation qui l’envahissait peu à peu, et d’autre part pour ne pas tomber dans les boîtes à ordures qui jalonnaient le trottoir, quand je me rendis soudain compte que je portais toujours le costume que M. Plutarquet m’avait prêté. Je m’arrêtai et m’appuyai au rebord d’une fenêtre pour réfléchir à la question. D’un côté, j’avais hâte de trouver un endroit pour dormir : j’étais écrasé de fatigue et les effets de la drogue qu’on m’avait administrée me permettaient à peine de conserver la verticale. D’un autre côté, malgré l’âme de canaille dont le sort m’avait doté, je ne supportais pas l’idée de priver de son unique costume un vieillard qui avait fait preuve à mon égard d’une telle générosité. Et comme enfin, entre l’appel du devoir et l’attrait du confort, ma conscience fit pencher la balance en faveur du premier, j’inspirai à fond pour insuffler à mes poumons la brise oxygénée de la nuit, je quittai mon appui de fenêtre et remontai la côte. Comme il n’était pas question, étant donné l’heure tardive, de réveiller le vieil érudit et n’ayant pas envie de fournir des explications qui ne rehausseraient pas mon image de marque, déjà si désastreuse, je forçai la serrure, m’introduisis dans l’entrée et, à la faible lumière qui venait de la rue, repérai la boîte aux lettres de M. Plutarquet, l’ouvris, me mis en caleçon et réussis non sans peine à tasser l’élégant complet dans l’étroit réduit. J’aurais aimé y joindre un mot de remerciement, mais je n’avais sur moi rien pour écrire et, d’ailleurs, je ne voulais pas courir le risque d’être surpris par un locataire noctambule en train de griffonner un mot en si petite tenue. Je quittai donc l’immeuble et sentis sur mes chairs grelottantes la fraîcheur de la nuit. L’endroit, par chance, était peu passant et il n’y avait guère de chance que je fisse une fâcheuse rencontre avant d’arriver dans une rue plus centrale où je trouverais quelque boutique mal protégée, dans la vitrine de laquelle je pourrais m’équiper. Je me disposais donc à descendre une fois de plus la rue quand je vis s’ouvrir la porte de la maison d’Emilia et celle-ci sortir en courant, l’effroi peint sur le visage.

— Emilia ! criai-je de mon trottoir. Qu’est-ce que tu fais là ?

Elle m’aperçut, poussa un cri de surprise, courut vers moi et, sans une explication, se jeta dans mes bras. Malgré le trouble où me mit cette effusion, je ne fus pas sans remarquer qu’elle tremblait de la tête aux pieds..

— Tu es encore là, sanglota-t-elle. Grâce à Dieu, grâce à Dieu !

— Je suis revenu, expliquai-je, faire une course. Où allais-tu ?

— Chercher du secours. Il est arrivé quelque chose d’affreux. Viens !

Elle prit ma main et m’entraîna de force vers sa maison. Je voulais lui dire que j’étais pressé de partir, que la police allait certainement

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